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Guerre et Pots

Illustration de Marie-Sophie Wilhelm

Episode X

Nous ne sommes plus chez les Vikings. Nous ne sommes plus non plus en ces jours troublés où un épicier fomente l’élimination d’une potarde.

Non. Tout ce qui va suivre est arrivé bien des années plus tôt, dans une contrée inconnue jusqu’alors des fées, trolls et demi-dieux foisonnant habituellement de par le monde.

Le Groinland.

Le Groinland, son volcan et ses noires étendues, ses perpétuels nuages gris planants sur ses cratères bouillants de lave. Pas d’eau douce, ni d’oiseaux, ni d’ornithorynques à déclarer.

Seulement…

Des dragons !

De toutes les tailles, de toutes les couleurs, avec pour aire de jeu du basalte à perte de vue… Le paradis !

Les individus y vivaient en une société bien organisée, reposant sur le non-partage de la nourriture et des territoires. Leur devise : « Bouffé tu ne seras point, si de m’em****er tu t’abstiens ».

Et tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, jusque dans la pouponnière blottie dans un nid de lave constamment maintenue en fusion. Et c’est ici précisément que se produisit un évènement d’une importance capitale pour les années à venir.

Approchez, n’ayez pas peur, ça ne fait que 3 000°C…

Vous voyez la petite boule violette toute gluante sur votre droite ?

C’est l’œuf de Celsius sur le point d’éclore !

Vous voilà maintenant dans le secret de Celsius, un honnête Groinlandais de naissance, destiné à devenir un brave petit dragon vindicatif comme ses parents (qu’il ne connaîtra jamais, ce qui était dans l’ordre des choses en ce pays).

C’était sans compter qu’il commencerait mal dans la vie…

Il n’éternua sa première boulette de feu qu’à l’âge de trois jours (l’âge normal étant de 5 heures 7 minutes et 19 secondes) et ne prenait pas plaisir aux bains de lave fumante en compagnie de ses semblables trop turbulents. Tous les autres dragonneaux le regardaient avec mépris.

Lui, ce qu’il préférait, c’était se rendre le soir sur la plage de cailloux et se laisser lécher les griffes par l’eau de la mer… Aaaah, la mer ! Un jour, pas de doute, il percerait le secret des vagues qui portaient de curieuses coques de noix farcies de petits bonhommes…

Celsius souhaitait par-dessus tout embarquer sur l’une d’entre elles, découvrir « l’au-delà-des-vagues », quitter sa petite île trop étriquée pour sa curiosité !

Ce qu’il fit.

Une nuit, il nagea sans bruit jusqu’à l’un de ces objets flottants. Il s’infiltra clandestinement à fond de cale, et mit plusieurs heures à se rendre compte qu’il n’y était pas seul…

Il lui fallut du temps pour distinguer une forme humanoïde rose comme un porcelet, hérissée de longs poils roux en bataille sur la tête, qui le fixait avec de grands yeux ébahis. Mais pas effrayée pour un sou.

Cette chose paraissait même plutôt curieuse.

Et…parla.

« Bonjour ! Comment tu t’appelles ?

-Gri…umpf ?

-Tu ne sais pas ? Tu n’as pas de nom, peut-être ?

-Gri !

-Moi c’est Cynara. Où vas-tu ?

-Prrrrrt.

-C’est chouette ça ! On va au même endroit. Tu veux du massepain ? »

Et c’est ainsi que Celsius rencontra Cynara, et vice versa. Le massepain était délicieux, l’humaine sympathique ; c’était le premier ami qu’il se faisait de sa vie.

Il la laissa le guider dans ce nouveau monde qu’il découvrait (mais toujours de nuit, les humains étant si imprévisibles…), et qu’il trouvait chaque jour un peu plus fascinant. Les Hommes craignaient les volcans mais s’ingéniaient tout de même à créer et recréer le feu. Ils ne se contentaient pas non plus de manger tel quel ce que la Nature leur donnait : ils le transformaient souvent en des mets extraordinaires comme le mâche-pin (était-ce bien cela ?), des pâtisseries, des viandes rôties, des tartes… Il fallut quelques temps à son estomac pour s’y habituer, car ce que ses tripes rejetaient, ses papilles l’adoraient !

Puis de la découverte, Celsius passa à l’apprentissage. Cynara l’initia à la science difficile de la botanique, à la rigueur de l’alchimie et à l’art de la confiserie thérapeutique.

Et ce fut long.

Très long.

Il lui fallut de plus maîtriser le tranchant de ses griffes et ses boules de feu intempestives (c’était d’ailleurs ce qui lui avait valu son nom de Celsius, mais l’auteur préfère passer l’anecdote correspondante sous silence…). Pour tout dragon lambda, cela aurait représenté un énorme sacrifice.

Mais pour Celsius, aucun sacrifice n’était trop grand pour rester auprès de Cynara, sa seule amie, sa seule famille.

Jusqu’à ce soir. (Oui, le flashback est fini, nous sommes de nouveau chez les Vikings, en ces jours troublés où un épicier fomente l’élimination d’une potarde.).

Comment avait-il pu en arriver à errer seul dans la forêt en pleine nuit, pleurant toutes les larmes soufrées de son corps ?

Était-il arrivé malheur à Cynara ?

Ou alors…

L’avait-elle abandonné ?

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