Interview de M.Didier et de M.Arntz

Bonjour, merci de nous recevoir dans votre laboratoire.

Quels ont été vos parcours universitaires ?

M. Didier : Je ne suis pas pharmacien (Mr. Arntz non plus), j’ai suivi un cursus de physique à la fac de sciences à Strasbourg, avec une Licence et une Maîtrise de physique, suivi d’un DEA et d’une thèse sur l’optique durant laquelle j’ai eu l’occasion de travailler avec des biologistes, ce qui explique en partie ma présence à la faculté de Pharmacie.

M. Arntz : J’ai fait Maths sup et Maths Spé puis une Licence et une Maîtrise de physique, suivie d’un DEA et une thèse en milieu hospitalier en construisant des détecteurs particuliers dans le cadre d’applications en médecine nucléaire. Principalement en construisant une gamma-caméra dédiée à l’évaluation des performances cardiaques. J’ai, par la suite, fait plusieurs post-doc dans l’industrie (IBM) dans le cadre de thématiques orientées vers les nanotechnologies. Je suis ensuite revenu en France à la faculté de chirurgie dentaire de Strasbourg où j’étais maître de conférences associé et mon activité de recherche s’est orientée vers les biomatériaux. Puis j’ai rejoint la faculté de Pharmacie au sein de l’équipe du Pr Mély.

Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

M. Didier : Nous travaillons dans l’équipe d’Yves Mély. Dans le laboratoire, nous travaillons essentiellement sur le HIV (virus de l’immunodéficience humaine). C’est une équipe assez hétérogène puisqu’il y a des biologistes, des physiciens et des chimistes. Étant physiciens, nous développons surtout des approches de microscopie pour comprendre les mécanismes fondamentaux de certaines protéines d’HIV.

M. Arntz : Une grande partie du laboratoire sert au développement des techniques de microscopie de pointe. Si nous avons tous les financements prévus, nous serons à la pointe en microscopie de fluorescence et microscopie de champ proche.

Pouvez-vous nous expliquer plus précisément ce que vous faites ? (en visitant le laboratoire)

Nous disposons par exemple d’un microscope TIRF (Total Internal Reflection Fluorescence Microscopy).

Ce microscope nous permet d’étudier des interactions protéine-lipide ou protéine-protéine dans des systèmes membranaires modèles (bicouche supportée) ou réels (membrane cellulaire). Cette approche est particulièrement intéressante dans le cas du HIV. En effet, en plus de l’interaction du virus avec la
membrane plasmique lors de son entrée dans la cellule, il y a plusieurs étapes du cycle réplicatif qui ont lieu dans un environnement lipidique. La technique de microscopie est alors utilisée pour caractériser la nature des interactions à l’échelle moléculaire.

Parmi nos protéines d’intérêt, on peut citer la protéine GAG qui est fortement impliquée dans le mécanisme d’assemblage des particules virales. Le microscope TIRF nous permet alors de suivre individuellement de telles particules au niveau de la membrane plasmique . Des expériences en cours combinant la microscopie à épifluorescence et TIRF vont nous permettre de suivre et de caractériser le processus de formation de ces particules à partir du noyau jusqu’à l’excrétion à travers lamembrane plasmique.

D’autre part, on s’intéresse au complexe de pré-intégration qui fait entrer l’ADN viral dans le noyau de la cellule hôte. Ce dernier interagit donc avec l’enveloppe nucléaire.

Nous pouvons voir le complexe de pré-intégration directement avec un autre microscope : le microscope AFM. Celui-ci a la propriété d’avoir une très bonne résolution, du point de vue morphologique. On arrive à voir des objets de très petite taille avec une précision de 0,1 nm.

Un 2ème microscope AFM combinant la microscopie en champ proche et le TIRF est actuellement en phase de test. Ce dernier permet de suivre à la fois la morphologie et les signaux de fluorescence. Nous développons ici des microscopes qui dépassent les limites de diffraction pour arriver à 20nm, contre 200nm actuellement.

Nous disposons également d’un montage de microscopie à deux photons qui permet de réaliser de l’imagerie tridimensionnelle, afin de caractériser d’autres étapes du cycle viral.

Nos projets de recherche ne concernent pas le virus en entier car il faudrait travailler dans un laboratoire beaucoup plus sécurisé. Nous nous intéressons à plusieurs protéines de HIV, notamment la protéine NCP7 de la nucléocapside qui protège l’ARN du virus et qui intervient au niveau du complexe de pré-intégration.

Avec cette technologie, il est également possible de faire de la spectroscopie de corrélation de fluorescence, ce qui nous donne des informations sur les interactions des protéines avec les différents partenaires. Dans ce cas, on travaille sur un ensemble de molécules. Nous développons également des approches de microscopie optique à haute résolution qui permettront de visualiser des objets de l’ordre de quelques dizaines de nanomètres. A titre d’exemple, on peut citer la microscopie STED (Stimulated Emission Depletion microscopy) qui fonctionne avec des lasers et qui permet d’imager l’échantillon en trois dimensions.

Ces microscopes ont été développés ici, ils sont « faits maison ». Cela nous permet de tout contrôler et d’être plus performants qu’avec des microscopes commerciaux.

Pour le HIV, je ne peux vous parler que d’un point de vue de physicien. On essaie de trouver de nouvelles cibles, qui ne mutent pas d’une souche à l’autre, afin de voir quelle efficience elles ont par rapport au cycle de reproduction du VIH, notamment NCP7. En effet, NCP7 est stable. Si on arrive à bien comprendre son action et à l’inhiber, cela pourrait être une cible thérapeutique de choix.

L’autre particularité du laboratoire réside dans sa composante chimie, car nous avons besoin de fluorophores. Les fluorophores commerciaux ne fonctionnent pas toujours bien, c’est pourquoi nous développons nos propres fluorophores. Nous produisons également la NCP7 ici.

Il y a donc une approche globale, c’est à dire physique, chimique et biologique.

Après avoir trouvé les protéines qui peuvent être intéressantes pour le VIH, qu’en faites vous ?
Les biologistes qui sont au laboratoire font leurs constructions en essayant de couper un bout du peptide pour voir ce qui va se passer : changement de conformation (qu’on voit avec la technique du FRET). Nous essayons de répondre à leurs besoins, nous sommes au service des biologistes pour leur fournir les moyens d’avoir des réponses à leurs questions.
Cela fait combien de temps que vous travaillez sur la NCP7 ?
Il y a eu plusieurs approches. La première, qui été plus classique, date d’une dizaine d’années. Mais nous ne travaillons pas que sur la NCP7, nous travaillons sur plusieurs autres protéines qui sont intéressantes car elles appartiennent au cycle de réplication du HIV.

Actuellement, quels postes occupez-vous à la faculté ?

M. Didier : Nous sommes tous les deux maîtres de conférences. Donnez-vous tous les deux des cours en PAES ?
M. Didier et M. Arntz : Hélas non (rires).
Pourquoi hélas ?
M.Didier : Nous ne faisons plus de cours magistraux en première année, le volume horaire de physique/maths a été diminué comme pour d’autres matières, et les professeurs de médecine assurent également des cours. Il n’y a donc, de la fac de pharmacie, plus que M. Mély et Mme Wund qui assurent des cours en première année. Mais nous sommes chargés de TD, ce qui est assez contraignant, il y a environ 1600 étudiants, ce qui fait beaucoup de groupes de TD, beaucoup de répétitions. Ce qui n’était pas le cas avant.
M. Arntz : Les années précédentes, nous arrivions quand même à identifier certains étudiants pour suivre leurs progrès, ce qui n’est plus le cas au vu du nombre d’étudiants. Cela devient plus impersonnel.

Par contre, vous continuer d’assurer vos cours en 2ème année ?

M. Didier : Oui, cela ne change pas !
M. Arntz : Mais les programmes de 1ème année ayant été modifiés, les autres programmes évolueront certainement aussi. C’est un vaste chantier …

Intervenez-vous dans d’autres facultés ?

M. Didier : Nous intervenons dans des masters, qui sont associés à l’école de physique qui est à l’ENPS ainsi qu’à la faculté de chimie.
M. Arntz : Notamment dans le master IRIV, Robotique et Ingénierie pour le Vivant Ingénierie des systèmes, automatique et Vision dont une UE Innovations en imagerie est commune avec l’UE de pharmacie.
M. Didier : C’est un autre public, ce sont surtout des biologistese
M. Arntz : e qui se mettent à la physique !
M. Didier : Il y a plus d’interactions avec les étudiants, ce qui rend de notre point de vue l’échange plus intéressant. Mais je peux comprendre que pour des étudiants en pharmacie, la physique ne soit pas une matière essentielle. En première année, la physique faisait tout de même une bonne sélection, certaines questions de QCM étaient des énigmes à part entière …
M. Arntz : Des énigmes, c’est quand même pas Fort Boyard (rires) !
M. Didier : Finalement au bout de vos 6 années, ça ne change pas grand choses pour la plupart d’entre vous. Cependant, l’option de 3ème année sert aux étudiants désirant faire un stage au laboratoire.
M. Arntz : Il y a également des étudiants qui s’intéressent beaucoup à la physique et qui poursuivent un cursus approfondi en physique.

Avez-vous un conseil pour les PAES ?

M. Arntz : Travailler régulièrement et ne pas se décourager.
Avez-vous quelque chose à dire aux étudiants en général ?
M. Didier : N’ayez pas peur de la physique, ne gardez pas un mauvais souvenir de la première année !

Réponses à une question des internautes :
Quel âge avez-vous ?
M. Arntz : C’est indiscret comme question (rires) !
M. Didier : Moi j’ai 33 ans.
M. Arntz : Moi 39ans.

Un grand merci pour avoir bien voulu répondre à nos questions !
Laurent et Hélene

Le Comprimé 37 Hivers 2010

 

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