Interview de Mme Heitz

Bonjour Mme Heitz et merci de recevoir l’équipe du Comprimé dans votre bureau.

Quel a été votre parcours universitaire ?

J’ai mené des études de pharmacie à Strasbourg. A cette époque, il n’y avait qu’une filière et j’ai fait partie de la première promotion à 5 années d’étude, sans un an de formation en officine suivi de 4 ans à la faculté. A la fin de mes études, j’ai eu envie d’approfondir et d’étayer mes connaissances avant de rentrer dans la vie professionnelle. J’ai donc pris un poste d’assistante en pharmacologie à la faculté, tout en faisant des certificats. J’ai pris goût à l’alternance enseignement et recherche et j’ai suivi le chemin qui mène à la thèse, puis à un poste de maître de conférences et enfin à celui de professeur.

Comment êtes-vous arrivée au poste prestigieux de Doyen et qu’avez-vous fait par la suite ?

J’étais professeure au moment où le Doyen Dominique Gérard m’a sollicitée pour être directrice adjointe en charge de la pédagogie à la faculté de pharmacie de Strasbourg. À la fin de son mandat, j’ai pris sa succession en mettant toujours l’accent sur la pédagogie, la réforme des études, la réflexion sur les processus d’amélioration de l’enseignement. J’ai mis en veille mes recherches car il m’était difficile de mener de front responsabilités collectives, enseignement et recherche. Au cours de mon mandat, j’ai été sollicitée pour être vice présidente de l’Université Louis Pasteur en charge de la formation. J’ai accepté cette mission car elle arrivait au moment où l’on devait décliner la réforme des études (en dehors des études de santé) selon le processus de Bologne (dit réforme LMD en France). Ce processus vise à augmenter la lisibilité des diplômes et ainsi faciliter la mobilité des étudiants et des diplômés au sein de l’Europe. J’ai trouvé le challenge intéressant et j’y crois beaucoup. Depuis 2007 j’ai d’ailleurs intégré le groupe français des experts de Bologne.

Où en est le système LMD pour les études de santé ?

A Strasbourg, dans le cursus des études de pharmacie certains aspects du système LMD, tels que les UE et les crédits, ont été mis en place. Cette réforme n’est pas simple dans le secteur de la santé qui a ses spécificités variables selon les différents pays de la Communauté Européenne. Mais il y a une forte volonté de reconfigurer intelligemment le système des études permettant de délivrer un diplôme garant de qualité d’aptitude professionnelle.

Quels sont vos sentiments pour la PAES, étant donné que vous nous aviez confié lors de notre précédente interview (il y a 10 ans) vouloir un rapprochement avec la Faculté de Médecine sur les thématiques de recherche et sur les cours dispensés ?

À Strasbourg, nous ne sommes pas très proches, rien que géographiquement, de la Faculté de Médecine. Quand j’étais doyen, j’avais commencé à travailler à un rapprochement des deux facultés. On parlait déjà d’une réforme de la 1ère année. J’ai participé à plusieurs groupes nationaux de travail pour établir un dialogue favorable et faire des propositions. Le texte tel qu’il a été publié a le mérite d’avoir cassé les étiquettes disciplinaires et d’avoir créé des UE pluridisciplinaires. Le fait d’avoir affiché dans le cadrage national des mots clés, qui vont pour certaines UE de la chimie du vivant à certains aspects de physiologie est très innovant. C’est même une révolution pédagogique ! Les équipes pédagogiques à Strasbourg se sont inspirées du programme national tout en faisant des choix pour construire les UE . Cette construction a été intéressante car les équipes de pharmacie, de médecine, de dentaire et de sages-femmes ont travaillé ensemble.

La PAES n’engendrerait-elle pas une perte de spécificité, en particulier pour les pharmaciens?

Je sais très bien que c’est l’avis de certains mouvements étudiants et de certains professionnels. Ne pas entrer dans cette réforme se serait traduit par un isolement marqué des étudiants en pharmacie et de la profession pharmaceutique . Il faut avoir à l’esprit le poids respectif médecine/pharmacie. Les cours de botanique ou de zoologie par exemple, qui ne figurent plus au programme de 1ère année se retrouveront plus tard : en 2ème , 3ème ou 4ème année.. Parallèlement, avec l’augmentation du numerus clausus, il est possible d’entrer dans un aspect intéressant du processus de Bologne : avoir à la fois des UE majeures et des UE optionnelles ! Maintenant il y a assez d’étudiants dans nos facs pour organiser des enseignements au choix et laisser en partie les étudiants libres de construire leur parcours de formation.

Il y a un rapprochement avec la faculté de médecine pour les cours mais surtout en 1ère année. Pensez-vous qu’il y aura aussi des rapprochements possibles dans le futur pour des unités d’enseignement communes à médecine et pharmacie ?

Déjà, de se connaître, de travailler ensemble crée des liens. On a l’habitude, à la faculté de faire appel à des enseignants de médecine mais l’inverse n’était pas courant jusqu’à présent. Il est intéressant qu’en PAES ce soit majoritairement des pharmaciens qui enseignent le médicament. Toutes les filières ont demandé que les voies et les formes d’administration du médicament soient traitées dans un enseignement mutualisé avec l’UE spécifique « pharmacie ». Il faut créer un dialogue entre les différents professionnels de la santé. Le rassemblement des étudiants en première année peut y contribuer.Le fait que les étudiants en pharmacie aillent à l’hôpital pendant un an en 5ème année est une bonne chose. Il faut comprendre qu’avant l’introduction de ce stage dans le cursus, pendant les études de pharmacie, un étudiant ne voyait que des pharmaciens, on était dans un monde complètement clos.

Et est-ce qu’il y a eu un rapprochement dans la recherche ?

La recherche biomédicale à Strasbourg est en train de se reconfigurer en partenariat avec l’INSERM. Il y a bien sur des collaborations scientifiques entre des chercheurs des deux facultés. Le directeur adjoint en charge de la recherche, Thierry Vandamme, est plus à même de vous répondre sur ce point.

Que pensez-vous des cours vidéo, alors que vous prônez un dialogue entre étudiants et professeurs ? Est-ce un pas en avant ou mauvais idée ?

Il y a eu de nombreux débats à ce sujet et j’ai fortement plaidé pour que tous les cours soient mis en ligne à la disposition des étudiants. J’ai enseigné en 1ère année, c’est une année difficile et les étudiants n’ont pas tous le même accès à l’information. On sait que beaucoup d’étudiants enregistraient ou filmaient les cours. Maintenant, ce sera fait de manière professionnelle avec le même accès pour tous.

Il y aura beaucoup de groupes de TD en première année. Les professeurs pourront-ils dispenser de la même manière chaque séance ?

Aucun professeur ne suivra les quarante groupes en totalité, l’organisation choisie prévoit 3 groupes de TD par après-midi et en parallèle. Pour l’organisation pédagogique, il faut nous faire confiance …. (rires). Les sujets des TD sont préparés en commun par l’équipe pédagogique et les corrigés sont les mêmes pour tous. Même si la même personne anime toutes les séances de TD, il existe une différence d’un groupe à l’autre. Il suffit qu’un étudiant pose une question qui enclenche une réponse et une discussion. On avance beaucoup en TD grâce aux questions et surtout grâce aux erreurs ou des incompréhensions des étudiants. Si quelqu’un fait une faute, on peut réexpliquer et voir les choses d’une autre façon et là cela devient intéressant. Mais il y a des groupes peu réactifs sans question. Cette année, on a beaucoup moins d’étudiants que ce que l’on pensait puisqu’ il y a 1800 étudiants inscrits, à quelques dizaines près, en PAES. C’est moins que la somme des étudiants inscrits l’année dernière en première année de médecine, pharmacie, sage femme et dentaire. Il semblerait que les bacheliers qui avaient choisi la PAES en premier voeu en terminale soient là ! Il y a donc des personnes non admises au concours 2009/2010 qui n’utilisent pas leur droit au redoublement. Nous étions prêts à accueillir 2400 étudiants. Le concours devient donc moins sélectif si le numerus clausus ne change pas. Cela permet que les aspects organisationnels de l’enseignement se rodent plus facilement.

Qu’en est-il du tutorat ?

Le tutorat permet de maintenir un contact avec des étudiants qui viennent passer un concours et de contrer l’effet prépa par des écoles privées. Je suis révoltée… Pas par l’organisation des structures privées mais par la pression morale qu’elles exercent sur les étudiants. Elles font croire à des générations entières que les classes préparatoires sont indispensables. Cela me gène d’autant plus que pour une bonne majorité, elles sont très chères. Toutefois je reconnais une structure qui permet de mettre l’étudiant dans un cadre de travail. Le tutorat par des étudiants dans les cursus est une alternative proposée aux préparations privées.

Pouvez-vous nous parler du master « Science du médicament » dont vous êtes responsable ?

Le master « Science du médicament » a été créé quand j’étais vice président en charge du LMD. Il a été construit pour enseigner toutes les facettes de développement du médicament, sauf la chimie puisque Mr Goeldner a préféré créer un master « Chimie du médicament » qu’il avait appelé master « Chimie biologie ». La 1ère étape de création du médicament est ainsi enseignée par les chimistes en faculté de chimie, toutes les autres (développement, analyse, réglementation …) sont dans le master « Science du médicament ». Ce master accueille des étudiants en pharmacie, en médecine, des pharmaciens étrangers, des internes en médecine et en pharmacie et des étudiants ayant une licence en science. J’ai plaisir actuellement à accompagner des étudiants de master pour faire des contrats pédagogiques « à la carte » en fonction de leurs objectifs professionnels. C’est là tout le côté intéressant du processus de Bologne : faire parfois des contrats pédagogiques à la carte pour certains. J’ai pris la responsabilité du master en septembre 2007. Les diplômes de licence/master sont soumis à habilitation tous les 4 ans. En 2011, l’université doit rédiger ses nouvelles maquettes de diplômes. Il y aura des adaptations, des corrections, des nouveautés. Il faut par exemple faciliter l’accès aux masters pour les internes. Thierry Vandamme sera le porteur de projet de la prochaine maquette. En 2005/2006, la filière industrie comptait 30-40 étudiants. En accueillant des masters, le nombre d’étudiants accueillis à la faculté et intéressés par l’industrie pharmaceutique ou la recherche académique a triplé , ce qui a permis une plus grande variété de cursus. Sans l’introduction du master, une telle variété d’enseignement ne pourrait pas être offerte aux étudiants de la filière industrie. Le master permet la pluralité et une diversité dans les formations offertes.

Le diplôme de pharmacien est différent dans les pays européens. Il est cependant reconnu partout. Que pensez-vous des étudiants qui ratent deux fois le concours en France et qui partent faire leurs études en Roumanie pour ensuite revenir exercer en France ?

Je pense que c’est une des conséquences de l’Europe, c’est ce qui se passait il y a quelques années vers la Belgique, qui depuis a instauré des quota. Je trouve triste que des étudiants français doivent partir en Roumanie pour avoir une chance de devenir pharmaciens. Le numerus clausus est trop fermé en France, il est trop protectionniste, étant calculé sur les débouchés d’officine, en ne voulant pas entendre que ce diplôme est largement utilisé dans d’autres secteurs. A Cluj, en Roumanie, il existe une vieille université qui a une culture scientifique de très bon niveau et qui est francophone. A côté s’ouvrent des universités privées pour lesquelles il n’y a actuellement pas de critères. Pour une qualité de l’enseignement, il faut être clair sur les programmes développés, les moyens mis à disposition des étudiants, les taux de réussite aux examens… pour que chacun ait des informations pour choisir en toute connaissance de cause. Nous n’avons pas le monopole de la bonne formation. Les évaluations prévues par le Processus de Bologne doivent être des outils garant de la qualité des formations. La libre circulation des diplômes est une belle avancée mais il doit s’agir d’ une libre circulation de diplôme de valeur égale. Quand il y a un exercice associé à votre diplôme, qui est-ce qui va juger ? Le patient ? A ses dépens ? Ce qui est important, c’est la garantie des connaissances et compétences adaptées à l’exercice professionnel visé.

Quel est votre projet dans les années à venir ?

Je vais prendre ma retraite prochainement car j’ai l’âge requis. Comme j’ai accompagné la construction de la nouvelle première année de santé, je resterai au moins encore jusqu’à la fin de l’année universitaire 2010-2011. De plus je suis responsable du Master Sciences du médicament et je vais passer le flambeau en accompagnant le nouveau responsable dans la rédaction de la maquette pour la demande de renouvellement d’habilitation.

Etes-vous déjà allée au banquet de pharmacie ?

Oui, je me suis fait un devoir d’y aller chaque année pendant mon mandat de doyen. Mais j’ai toujours eu du mal à voir des étudiants boire. Je pense qu’il en est de même pour certains de mes collègues enseignants. Je suis perturbée par l’attrait qu’a l’alcool aujourd’hui : c’est boire pour boire, et boire vite ! Mais avec quelles conséquences !!!

Pour finir, avez-vous un conseil pour les étudiants de PAES ?

A part vous dire que c’est un concours, qu’il faut faire partie des meilleurs, je ne vois pas trop. Par contre, les personnes qui échouent au bout de 2 ans et qui ont beaucoup travaillé, ont généralement eu une mauvaise méthode de travail. Ils se sont perdus dans les détails, il faut savoir aller à l’essentiel, le tout par coeur n’est pas la bonne solution, il vaut mieux apprendre par la réflexion et la compréhension.

Et pour les années suivantes … un conseil ?

Pour les étudiants ayant déjà passé le cap du concours, je peux vous dire qu’en voyant l’évolution du métier auquel on accède avec le diplôme de pharmacien, je leur conseille de se projeter dans ce que sera, et non ce que fût le métier. Je pense à tous les exercices de la pharmacie. Le pharmacien ne doit plus rester isolé, il faut qu’il collabore de plus en plus avec les autres professionnels de santé et se consacre de plus en plus aux patients et pas seulement aux médicaments.

Laurent, Hélène et Butters

Numéro 36 Automne 2010

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