Interview du Professeur Pesson

Bonjour M. Pesson et merci de recevoir l’équipe du comprimé dans votre bureau.

Tout d’abord, quel a été votre cursus universitaire ?

Je suis né en 1947 à Paris où j’ai fait mes études secondaires au Lycée Charlemagne. Après un baccalauréat « maths – élém
» (« mathématiques élémentaires », équivalent de la section S), j’ai étudié la pharmacie à la faculté de Paris V. J’ai été diplômé en 1969 et immédiatement recruté par le Professeur Nicole Léger comme assistant en parasitologie dans le service du Professeur Raymond Cavier. J’ai été, titularisé au bout de 3 ans en 1972 et c’est à ce moment-là que j’ai intégré la nouvelle faculté de pharmacie de Paris XI à Châtenay-Malabry. J’y ai participé à la mise en place des divers enseignements de parasitologie et j’ai été nommé en 1976 maître assistant (le titre de maitre de conférences n’était alors pas utilisé pour cette fonction). J’ai soutenu une thèse des sciences pharmaceutiques en 1978, et passé le concours d’agrégation en parasitologie en1979. Classé second, j’ai choisi le poste de Strasbourg où la faculté d’Illkirch ouvrait ses portes. Dès la rentrée 1979, j’ai commencé à enseigner la zoologie en première année et la parasitologie en quatrième année, jusqu’à aujourd’hui.

Qu’est-ce qui vous a amené à choisir la parasitologie ?

Quand j’étais lycéen, les deux matières qui m’intéressaient le plus étaient les sciences naturelles et la géographie. J’aurais dû normalement intégrer une prépa à agro, mais une mauvaise note en maths au BAC m’a fait changer d’avis. Je voulais alors me diriger vers la faculté des sciences et la licence « SPNC » (sciences physiques chimiques et naturelles). Mon père qui était scientifique (et connaissait bien mes aptitudes et mes défauts !) m’orientait plutôt vers une formation universitaire dans des disciplines biologiques mais aboutissant à un diplôme d’exercice. Il me « poussait » vers médecinee j’ai donc fait pharmacie (sourire)e sans doute par esprit de contradiction envers un père bienveillant mais autoritaire!
Les études de pharmacie ne duraient que 5 ans. En dernière année, j’ai eu la chance d’être «repéré» pour mes résultats en parasitologie et de me voir proposé un poste d’assistant auxiliaire. C’était le tout premier échelon qui n’existe plus mais qui m’a permis de commencer très tôt ma carrière universitaire dans la discipline qui m’intéressait le plus. Ceci n’est plus possible aujourd’hui ; le parcours est devenu beaucoup plus difficile et beaucoup plus long.

Depuis quand faites-vous du diagnostic biologique en parasitologie ?

C’est dès le début de ma carrière en 1969 que j’ai commencé à travailler en diagnostic biologique parasitaire à l’hôpital Saint-Louis dans le service du Professeur Marc Gentilini. Depuis cette époque, j’ai toujours enseigné ce diagnostic aussi bien dans la formation des biologistes médicaux (au CES puis au DES) que dans leurs enseignements postuniversitaires à la faculté ou dans leurs laboratoires C’est récemment en 2003, que le Professeur Ermanno Candolfi m’a demandé de me joindre à son équipe à l’Institut de Parasitologie des Hôpitaux de Strasbourg, où je participe au diagnostic direct microscopique en tant que praticien attaché.

Faites-vous des recherches ?

Oui, même si dans la maison je fais figure « d’électron libre » car je ne suis intégré à aucune des équipes locales. Depuis deux ans je fais partie d’une équipe reconnue travaillant sur l’épidémiosurveillance des maladies parasitaires transmissibles, et dirigée par mon collège Rennois Jérôme Depaquit. Depuis ma thèse, je me suis spécialisé dans l’étude des vecteurs de leishmaniose. J’étudie plus précisément les phlébotomes méditerranéens dans le cadre de collaborations comme celle du programme européen EDEN (Emerging Diseases in a Changing European Environment) .

Comme nous le savons, vous êtes responsable de la filière officine, occupez-vous aussi d’autres fonctions annexes ?

Oui, en effet cela fait 10 ans que je suis responsable de la filière officine et que je représente la faculté au Conseil Régional de l’Ordre des Pharmaciens qui correspond à la section A des pharmaciens titulaires d’officines. L’exercice de cette fonction et le contact avec nos confrères m’ont beaucoup apporté mais cette année je souhaite passer la main, car je trouve qu’il est temps de faire place aux jeunes générations et me recentrer ainsi sur mon activité principale, la parasitologie.

Depuis 1993, je suis membre du conseil scientifique du CNCI (centre national des concours d’internat – internat en pharmacie) où, avec trois autres collègues d’autres facultés, nous représentons la parasitologie et la mycologie médicale. Au cours de réunions mensuelles, nous validons les QCM et dossiers biologiques et thérapeutiques de ces disciplines qui pourront être proposés au concours.

En 1986, le doyen de la faculté m’avait désigné comme chargé de mission auprès de l’Inspection Régionale de la Pharmacie. Pendant six ans, j’ai plus particulièrement participé à l’inspection des laboratoires de biologie médicale. Cette fonction m’a suffisamment marqué dans ma carrière pour qu’aujourd’hui encore je sois le coordonnateur du module d’enseignements « organisation – gestion – droit » du DES de Biologie Médicale. Ce module est enseigné, pour l’inter-région Est, un an sur deux à Strasbourg.

Enseignez-vous ailleurs qu’à la Faculté de Pharmacie ?

A l’époque des CES (certificats d’études spécialisés en biologie médicale), je participais aux enseignements à Strasbourg à Paris et à Reims. Aujourd’hui je contribue à la formation en parasitologie des internes de biologie médicale et j’assure les cours d’entomologie médicale et des travaux pratiques au DU de pathologie tropicale de la faculté de médecine de Strasbourg.

L’année prochaine, on aura la réforme de la L1 santé, qu’adviendra-t-il du programme de Zoologie de 1ère année de Pharmacie ?

Cette discipline ne sera plus incluse dans le nouveau programme L1. Je pense qu’à l’avenir la zoologie devrait être intégrée aux unités d’enseignement sur la biodiversité et la systématique prévues dans la deuxième année d’études. Il est très important de garder dans notre cursus la zoologie comme la botanique. Ces disciplines apportent une culture et des bases concrètes qui permettent de mieux aborder les autres sciences biologiques qui y font référence. En ce qui me concerne, je pense bien entendu à la parasitologie.

Personnellement je n’ai jamais été favorable au concours de fin de 1ère année et je pense que la réforme des études de santé aurait pu instaurer un examen classant d’entrée en faculté à l’instar de ce qui se passe dans d’autres pays de l’Union Européenne. Je trouve que la première année est très lourde à organiser. Elle est difficile aussi bien pour les étudiants que pour les enseignants. Elle fait beaucoup de déçus et la sélection se fait sur des critères théoriques qui ne décèlent peut-être pas toutes les qualités professionnelles. J’aurais aussi aimé que l’on pense aux reconversions tardives en ne limitant pas dans le temps le nombre de tentatives d’accès aux professions de santé. Vous êtes très efficace dans votre enseignement, certains élèves prétendent que cela est dû à votre capacité à ne pas respirer…

Je suis heureux que l’on me juge efficace car j’aime enseigner. Je passe beaucoup de temps à préparer mes cours et à les mettre à jour. Comme
enseignant en faculté de pharmacie, je tiens particulièrement à l’exactitude et à l’actualité des informations que je donne sur les antiparasitaires et antifongiques. L’évolution rapide des AMM, des génériquese nécessite une révision constante aidée par les sites comme Thériaque et Vidal pro
et bien entendu l’AFSSAPS.

Pour ce qui est de ma respiration, je sais que je parle vite et c’est pour cela que je prends soin de répéter plusieurs fois les points qui sont importants. Je pense que ce rythme est tout à fait compatible avec la prise correcte de notes puisque si je le ralentis un tant soit peu, je constate que certains étudiants se mettent à converser.

Vous êtes toujours très bien habillé, est-ce par tradition ?

Non, ce n’est pas une tradition et je m’habille de la façon qui me convient le mieux. Comme le vouvoiement, c’est aussi pour moi une forme de respect envers mes collègues et les étudiants. Ce n’est pas de la fatuité mais une simple question d’éducation et bien sûr de génération.

Quel est votre point de vue sur le maintien du monopole des officines ?

Ce monopole a toujours été attaqué. Il ne peut être bien défendu que si la profession joue d’abord la carte scientifique. La réorganisation de la prescription restreinte comme l’évolution du parcours de soins dans le contexte de la loi HPST sont deux exemples où la compétence scientifique du pharmacien est indispensable. Il n’en demeure pas moins vrai que le pharmacien titulaire d’officine est aussi un chef d’entreprise qui doit faire vivre son équipe dans une ambiance économique qui n’est pas des plus sereines. Des officines ferment, d’autres se regroupent et l’on sent bien que des changements vont se produire. Les nouvelles sources de rémunération que l’on peut imaginer ne risquent-elles pas de restreindre l’exercice libéral ou de créer un système d’accréditation pour certaines activités officinales? Je suis incapable de le dire mais il y a un point qui me rassure, c’est que la profession face à ces problèmes reste dynamique et propose des projets.

Votre métier doit vous amener à faire de nombreux voyages ?

Depuis les années 80, j’étudie l’épidémiologie des leishmanioses dans le bassin méditerranéen et les missions entomologiques m’ont fait parcourir beaucoup de pays riverains. Ces dernières années je me suis rendu plusieurs fois au Maroc mais le programme européen EDEN m’a fait passer les quatre derniers étés en Languedoc-Roussillon avec mes collègues du National History Museum de Londres. L’objectif est d’évaluer l’incidence des modifications environnementales naturelles ou induites par l’homme sur la progression vers le nord des phlébotomes vecteurs. Le travail sur le terrain consiste à capturer dans le maximum de sites des échantillons représentatifs des populations sur lesquelles sont ensuite menées des analyses génétiques. La pose des pièges (qui fonctionnent pendant la nuit) se fait essentiellement dans les dépendances de maisons et les fermes ce qui nécessite le consentement des
habitants. La gentillesse des personnes que nous dérangeons associée à notre aimable force de persuasion fait que nous ne rencontrons pratiquement jamais de refus !

En tant que spécialiste des parasites, qu’avez-vous vude plus intéressant ?

L’observation au microscope qui est pour moi une passion, procure sans cesse des images plus belles et plus intéressantes les unes que les autres. Mais qu’il s’agisse de parasites microscopiques ou d’insectes, ce qui est le plus captivant c’est d’aller jusqu’au bout d’une identification. J’ai eu la chance de faire beaucoup de morphologie avant qu’arrivent les outils moléculaires. Ayant déjà une bonne connaissance du groupe sur lequel je travaillais j’ai pu pleinement apprécier l’apport de ces nouvelles approches. Je crois que pour tous les naturalistes systématiciens de ma génération cela a constitué une étape des plus intéressantes dans leur travail de recherche.

Quel est votre animal préféré ?

Je n’ai pas d’animal préféré, je pourrais dire que j’aime bien les insectes parce que je me suis spécialisé en entomologie. Je pourrais préciser le phlébotome parce que c’est un bel insecte et qu’il s’agit de celui sur lequel je travaille. En fait, je suis plus attiré par son comportement que par la bestiole elle-même. Comme dans toutes les maladies à focalisation vectorielle, c’est de ces facteurs influant sur ce comportement que dépend l’épidémiologie de l’affection.

Quelle est l’un de vos meilleurs souvenirs d’enseignant ?

D’abord la réussite professionnelle des étudiants dont j’ai pu m’occuper. Dans un tout autre registre, je retiendrai un cours de 1ère année dans les années 80 qui avait lieu en dernière heure juste avant les vacances de Noël. Gros chahut dans un amphi plein à craquer (quelques étudiants de 4ème année étaient là en visiteurs-animateurs)e on me demande de chanter ! Je réponds que je préfère un autre art, celui du dessin. Le cours devant porter sur la classification des mammifères, j’entreprends à la craie sur le tableau noir trois dessins de petits et leurs mères représentant les trois sous-classes de mammifères (dont l’ornithorynque dessiné ici) et je signe d’un « Joyeux Noël ». Il s’en suit une sympathique standing ovation que je n’oublierai pas.

« ornithorynque allaitant son petit » esquisse des années 80 en souvenir des cours où les dessins étaient faits au tableau à main levée

Etiez-vous allé au banquet ?

J’attendais cette question étant donné que vous la posez à chaque interview. J’ai participé au banquet au tout début de ma carrière strasbourgeoise mais je n’aime pas ce genre de fête où il y beaucoup de monde et qui évolue souvent en beuverie. Quand j’étais interne et au service militaire, je me suis forcé à participer à de telles manifestations que je ne supportais pas. Ceci me fait sans doute paraître distant pour certains étudiants mais je pense être un enseignant très disponible mais qui ne sait pas être familier et encore moins boute-en-train.

Que pensez vous des cours en ligne ?

Je ne suis pas partisan des cours en ligne si je ne peux pas moi-même et à tout moment faire des corrections ou modifier le texte. S’il faut passer par un gestionnaire qui ne peut vous assister 24 heures sur 24, cela manque de souplesse. Pour moi l’avenir devrait plutôt s’orienter vers des enseignements en vidéoconférence qui pourraient permettre d’une part de pallier l’absence de spécialistes dans certaines disciplines, d’autre part de favoriser les échanges (« en direct ») entre nos facultés.

Pour finir, souhaitez-vous nous dire un mot pour les étudiants se destinant à la filière officine?
Eh bien qu’ils se décident tout de suite (sourire)! Il ne faut pas que l’officine soit vue comme une voie par défaut après échec dans une autre filière. Je pense aussi que si l’on choisit de faire des études en faculté de pharmacie ce n’est pas pour « faire tout sauf de l’officine » ! Cette filière reste un bon choix de cursus.

Butters, Laurent

Comprimé 35 été 2010

 

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