Interview de Mathias Hagen, économiste à Interpharma

Après avoir étudié des systèmes de santé, le Comprimé vous propose une analyse par un expert,

Mr Hagen Quel a été votre parcours ?

J’ai fait des études d’économie à St Gallen et pendant mes études j’étais très intéressé par l’industrie pharmaceutique et le secteur de la santé en général. Avec cet intérêt et un peu de chance, je suis entré chez Interpharma.

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est Interpharma ?

Interpharma est une association d’entreprises pharmaceutiques pratiquant la recherche en Suisse. Les entreprises membres sont: Novartis, Roche, Merck, Serono, Actelion, Bayer Schering, Cilag et Vifor. Elles représentent 10% du marché pharmaceutique mondial. Interpharma travaille de près avec tous les acteurs de la santé, en particulier avec ceux qui représentent un intérêt pour les entreprises pharmaceutiques pratiquant la recherche en Suisse et à l’étranger. Notre mission consiste à promouvoir le dialogue entre les acteurs de santé à travers notre analyse, des études et autres publications ou événements. Il peut s’agir d’informations légales, d’opinions publiques, d’informations économiques, etc.

Quel est votre rôle dans tout ça ?

Interpharma est organisé en équipes interdisciplinaires. Je travaille dans le département de “ l’issue managment” . Issue managment est la partie commune aux affaires publiques et aux relations publiques qui s’occupe des affaires publiques et événements qui ont une importance pour l’industrie pharmaceutique. Je me focalise sur l’aspect plus économique. Concrètement mes actions et responsabilités sont, en premier lieu, l’obtention de données économiques, statistiques et sondages d’institutions gouvernementales et non gouvernementales. En deuxième lieu, je suis le débat public et je fais des lectures systématiques de la presse. Finalement, je fournis de l’aide interne et externe pour des représentants des différents groupes. Ce qui rassembles tous ces rôles est la connaissance de données économiques et d’autres données, à la fois à un niveau macro-économique et dans l’économie de la santé.

Qu’aimez-vous dans votre métier ? Qu’est-ce qui vous motive à vous lever le matin ?

Le secteur de la santé est très dynamique et au travail je me confronte à différentes problématiques qui sont toutes très importantes et affectent nos vies. Une autre raison est que l’on fait partie du procédé par lequel l’industrie pharmaceutique crée de nouvelles thérapies qui, au final, aident les patients. C’est super de faire partie de tout ça ! Ce que je trouve très enrichissant, c’est que l’on travaille avec des interlocuteurs très variés : des scientifiques, des avocats, des économistes, des pharmaciens, etc. Des gens avec des formations très diverses. Travailler avec toutes ces personnes, c’est ce que j’apprécie le plus.

Vous avez dit pharmaciens ?

Oui ! Nous avons des pharmaciens qui travaillent à Interpharma. Mon chef est biologiste moléculaire, un scientifique de par sa formation, mais cela ne l’empêche pas de travailler sur des aspects politiques. Comme vous pouvez le voir, l’esprit est très ouvert. Vous avez besoin de toutes ces personnes pour arriver à une conclusion compréhensive.

Comment fait-on pour interpréter des nombres tels que: le nombre de médecin, d’infirmières, les dépenses de santé par PIB, etc, lorsque les systèmes de santé en Europe sont tellement différents ?

Ce problème est très répandu. Vous n’allez jamais avoir la meilleure réponse à
votre question. Il s’agit de rendre les nombres comparables. C’est ce que je fais et ce que des statisticiens font. En premier lieu, il faut trouver une base commune de manière à pouvoir comparer. Par exemple, la densité de médecins en France est différente de celle en Suisse. Les deux pays sont différents en
terme de territoires (montagne, taille des villes, taille du pays,…) et de systèmes de santé. Rien qu’en faisant ces observations, vous pouvez voir qu’on ne peut pas aussi simplement comparer les deux données.

Vous devez adapter les données. Il ne s’agit pas de les changer bien sûr, mais vouspouvez les présenter autrement, par exemple sur une brochure avec de nombreuses données claires.
Ceci peut alors être utilisé par le public, par des politiciens et par toute personne intéressée. Ce que vous créez doit être simple d’utilisation. Vous traduisez la complexité en quelque chose qui peut être facilement compris par votre utilisateur cible. Un politicien ne va pas prendre des heures à analyser données il a besoin que l’information soit directe.

Que pouvez-vous prédire quant à l’avenir des postes pour les pharmaciens ?

Les pharmaciens font des métiers très variés. Je peux vous présenter l’aspect de la pharmacie industrielle. Les pharmaciens seront certainement demandés par l’industrie pharmaceutique dans les années à venir. Ici en Suisse, il y a un grand besoin de personnes hautement qualifiées, pharmaciens y compris. Mais il y a aussi un besoin de thésards dans les laboratoires de recherche. Il y a un besoin de tout scientifique bien formé à la fois du côté des starts-up qui sont très dynamiques mais aussi au niveau des grandes entreprises pharmaceutiques.

Et du côté des officines ?

Le rôle traditionnel du pharmacien va changer mais il est difficile de dire quelle direction il va prendre. Il y aura de nouvelles manières de distribuer les médicaments et les pharmaciens d’officine vont être mis à l’épreuve. Vous pouvez voir qu’en Suisse le nombre d’officines augmente malgré tous les problèmes auxquels elles sont confrontées, ce qui est assez surprenant. Mais on ne peut savoir comment les choses vont se passer. Les pharmacies se doivent d’être innovateurs en créant de nouvelles manières de servir les consommateurs. Les ventes sur Internet ont augmenté par le passé mais en ce moment elles n’augmentent plus.

Tout ceci a beaucoup à voir avec la manière dont le gouvernement fixe les prix, ce qui est au final une question politique. Il se peut que l’on arrive à un modèle « direct au consommateur » utilisant des gadgets comme Internet. Par contre, il ne faut pas oublier que les médicaments ne sont pas un bien de consommation et on arrivera à la limite de ce qui est possible. Il faut un pharmacien bien formé pour des raisons légales et de sécurité. Les contrefaçons ne sont qu’un seul exemple. Selon L’Organisation Mondiale de la Santé un médicament sur dix est contrefait.

Suivez-vous ce qui se passe à un niveau européen ? Quelle est l’importance du rôle de Bruxelles au niveau de la santé ?

Les politiques de santé restent très nationales. L’union Européenne n’a qu’un rôle de coordination. Bruxelles peut établir des objectifs comme par exemple sur le nombre de non-fumeurs mais a très peu d’outils pour intervenir. Par contre, de nombreuses décisions importantes sont prises à Bruxelles. L’Agence Européenne des Médicaments et ses recommandations de qualité, sécurité et d’efficacité des médicaments n’en est qu’un exemple. Nous suivons bien sûr ce qui se passe à Bruxelles et à l’European Federation of Pharmaceutical Industries and Associations (EFPIA). Vous ne pouvez pas sous-estimer le rôle de Bruxelles, mais il reste néanmoins limité.

Le rôle de l’Union Européene va-t-il augmenter ?

Les gouvernements nationaux sont très attachés à leurs compétences. Cependant, Bruxelles essaie d’acquérir de nouvelles compétences. Les choses, pour le moment, restent au même niveau.

Il semble que le coût de la santé reste un sujet important.Tous les systèmes de santé sont confrontés à ce problème. Comment peut-on diminuer le coût tout en améliorant l’offre de santé ?

Malheureusement il n’y a pas de solution miracle. La question est : quel système de santé voulez-vous ? Combien êtes-vous prêt à investir dans ce domaine de
société et de vie humaine ? Le problème de coût est présent dans tous les pays.
Si le système est surchargé l’industrie pharmaceutique sera affectée. Les systèmes de santé sont extrêmement compliqués. Trouver une solution à ce problème est une question fondamentale pour l’avenir. L’industrie pharmaceutique est très intéressée par ce problème. Pour nous, il est essentiel que le patient ait accès aux dernières avances médicales dans un système de santé compétitif qui lui garantit d’avoir le droit de choisir le traitement nécessaire. Le système doit être ouvert à l’innovation. Avoir assez de fonds pour la recherche de manière à ce que l’on puisse continuer à
trouver de nouveaux traitements et de nouveaux principes actifs et à guérir des maladies est fondamental. Malgré tout ça, je pense qu’il est important de se concentrer sur la qualité, et pas autant sur le coût. Si vous vous concentrez sur la qualité, vous diminuez le coût tout en aidant les patients.

Les médicaments sont relativement peu chers comparés à l’hospitalisation.

Oui, bien sûr. En Suisse, les médicaments représentent 10% des dépenses de santé. Mais toutes les composantes de la santé doivent contribuer au coût. Pour avoir une solution durable, vous devez regarder la structure et bien sûr les hôpitaux jouent ont un rôle majeur. Ici en Suisse, il y a une grande réforme des hôpitaux prévue pour 2012 et le gouvernement essaie de trouver des solutions au niveau structural. Cette démarche est présente partout dans le monde, cependant les réformes ne sont pas faites au même rythme dans tous les pays. Mais les idées sont discutées partout.

Avez-vous suivi le débat récent sur l’Assurance Maladie aux Etats-Unis ?

Oui, nous avons suivi le débat. Nous essayons de savoir en quoi la réforme va affecter l’industrie pharmaceutique.

Il semble que pendant les débats, les sujet de coût et de l’intervention gouvernementale étaient prédominants et le patient a été mis de côté. Le patient semble souvent absent des débats de santé dans de nombreux pays. Pensez-vous la même chose?

J’ai aussi cette impression. Les patients ne sont pas autant écoutés que les médecins, pharmaciens et autres. Ils ne parlent pas d’une seule voix et ils devraient être au centre de ce débat. Quelle que soit la réforme mise en place, vous avez besoin du patient pour atteindre votre objectif. Les patients doivent être au centre et c’est dommage qu’ils ne soient pas. Y a-t-il eu, un jour, un grand succès de réforme qui a réduit les coûts et apporté des soins de qualité au patient ?

Un modèle qui semble être très efficace financièrement, c’est le modèle intégré. Il a débuté il y a 30 ans aux USA. Ce modèle connecte les spécialistes au généraliste. Le patient a un suivi permanent, dans le meilleur des cas un dossier électronique, et vous avez un point central pour la santé (médecin, centre de soin…). Toute consultation, check-up, presciption etc, est centralisée et guidée. Si vous consultez un spécialiste, le rapport va directement au généraliste. Cela évite que les diagnostics soient faits deux ou trois fois. Le patient profite de primes plus basses. C’est bon pour le patient, le système et les médecins. De cette manière vous améliorez la qualité et réduisez les coûts.

Merci beaucoup, Mathias, de nous avoir accordé un peu de votre temps pour cette interview .

Charles

Interview réalisée en anglais et traduite en français. Pour avoir la version anglaise rendez-vous sur le site du Comprimé.
Vous pouvez retrouver toutes les données statistiques de cet article sur le site www.interpharma.ch

Comprimé 35 été 2010

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