Interview du Dr Pascal Kintz, toxicologue judiciaire

Pascal Kintz fait partie des experts en médecine légale et en toxicologie les plus réputés au monde. Ce pharmacien toxicologue est à l’origine de nouvelles méthodes d’analyse, notamment dans le cheveu, qui ont contribué à sa renommée. Il y a quatre ans, il créé la société Chemtox spécialisée dans l’expertise judiciaire et la toxicologie, où l’on vient le consulter des quatre coins de la planète.

Pascal Kintz, bonjour et merci de recevoir l’équipe du Comprimé.

Pourriez-vous nous présenter brièvement la société Chemtox, dont vous êtes l’un des membres fondateurs ?

Chemtox est une société d’analyse et d’expertise toxicologique. Elle a été fondée en 2004 par 4 personnes comprenant bien entendu des toxicologues mais aussi des investisseurs privés. Actuellement l’entreprise comprend 15 employés et j’en suis le seul pharmacien. Nous travaillons à la fois pour les tribunaux et les particuliers. De plus, 40% de notre activité concerne l’étranger notamment la Suisse, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Allemagne.

Qu’est-ce qu’une analyse toxicologique ?

C’est la mise en oeuvre de moyens analytiques (systèmes de chromatographies liquides (HPLC, ULPC), et gazeuses (CPG), spectrophotométrie, spectrométrie de masse, immunoanalyse…) afin de rechercher des toxiques dans des matrices très diverses : biologiques (sang, cheveux, salive, selles…) ou encore dans des aliments, dans l’air ou dans la terre.

Nos analyses comprennent deux axes. Le premier concerne les demandes ciblées de dosages de nombreux toxiques (médicaments, drogues, produits
dopant) dans des matrices aussi diverses que le sang, les urines, la soupe, ou le café par exemple. L’autre axe concerne la recherche de toxiques, notamment pour la justice, dans des cadavres pour rechercher les causes de leur mort.

L’intérêt de l’analyse toxicologique est grandissant car l’accès aux produits toxiques est assez aisé : médicaments en ventre libre, produits dopant sur
Internet, drogues` De plus en plus de personnes sont donc susceptibles de s’intoxiquer, ceci pouvant influencer leur comportement (agressivité, humeur) mais également leur capacité de travail ou leur vie familiale.

De façon pratique, quel est le domaine d’activité de votre entreprise ?

Notre domaine d’activité englobe la toxicologie, le dopage, l’altération du comportement, et la modification des performances. Pour moi le dopage ne concerne pas que le domaine du sport. Il y aussi dopage dans le cas d’un détournement de médicament, par exemple un cadre stressé prenant du bromazépam ou un individu se servant de bêta-bloquants pour se calmer. Nos activités sont très vastes, de l’analyse judiciaire pour les tribunaux à la demande privée, par exemple la recherche de diazépam dans la soupe d’un individu qui soupçonne sa femme de le droguer.

Parlez-nous un peu de la spécialité de Chemtox : l’analyse dans le cheveu…

C’est en effet notre haute compétence dans l’analyse de toxiques se logeant dans le cheveu qui nous a permis de figurer sur la scène internationale. Rares sont les laboratoires capables de les analyser.

Justement, pourquoi rechercher des toxiques dans les cheveux ?

Les cheveux sont comme un calendrier historique. Ils fixent de nombreuses substances qui leur sont apportées par les capillaires sanguins. Les cheveux
poussent d’un centimètre par mois, on pourra donc chez un individu ayant 6 cm de cheveux retrouver des substances qu’il a consommées lors des 6 derniers mois.

L’analyse dans le cheveux permet donc de retrouver la trace de substances ayant déjà totalement disparu des urines ou du sang.

Existe-t-il une altération de la présence de ces substances dans le temps ?

Non, pas du tout. Les substances qui se sont fixées dans les cheveux n’en seront jamais délogées, même post-mortem. Nous avons d’ailleurs analysé les cheveux de Napoléon (voir encadré) et des cheveux de momiespéruviennes datant de 3000 ans avant J-C où nous
avons trouvé des traces de cocaïne.
A l’époque des mayas, les feuilles de coca étaient mâchées pour leurs effets psychostimulants et anorexigènes.

A vous entendre, on dirait que l’on peut retrouver la trace de n’importe quelle substance, mais existe-il des substances indétectables dans les cheveux ?

Bien sûr ! Toutes les molécules qui ne passent pas dans les capillaires sanguins du cuir chevelu ne se fixeront pas dans les cheveux. C’est le cas par exemple de l’EPO ou de l’hormone de croissance.
Il y a également des substances qui s’y fixent mais que nous ne savons pas encore détecter. C’est le cas des molécules nouvellement synthétisées (drogues de rues par exemple), pour cela nous devons constamment innover et trouver des protocoles de dosage adaptés.

D’ailleurs quelles sont les méthodes analytiques que vous employez ?

Nous utilisons beaucoup de tests ELISA pour toutes les
réactions immunologiques. Nous utilisons également de
la CPG-masse, HPLC-masse. Tous nos détecteurs sont
«masse», car nous devons avoir une spécificité
absolue dans nos mesures.
Comme nous travaillons dans le cadre légal, des condamnations, des années de prisons, des divorces, des emplois sont en jeu. Nos analyses doivent donc être d’une précision et d’une sécurité irréprochable. Pour l’analyse des cheveux, il nous faut des techniques très sensibles puisque les concentrations sont infimes (de l’ordre du picogramme). Nous mettons en place des protocoles d’analyse qu’il faut adapter à la matrice et au toxique à analyser. Ces analyses sont longues et nécessitent la mise en oeuvre de nombreux moyens techniques des plus complexes. Ce n’est pas comme dans les Experts où il suffit d’appuyer sur un bouton pour voir le résultat des analyses s’afficher !

Parlons un peu de votre cursus universitaire et de votre parcours professionnel…

J’ai étudié à la faculté de pharmacie de Strasbourg. J’ai fait partie de la dernière promo n’ayant pas de concours à la fin de la première année. J’étais d’ailleurs dans la promo de votre Doyen M. Pabst. J’ai passé ma thèse d’exercice de pharmacie en 1985 et j’ai décidé de continuer mes études. L’année suivante j’ai passé mon DEA au laboratoire de pharmacologie de M. Stocklé. J’ai ensuite passé une thèse d’université tout en travaillant à la faculté de médecine dans un laboratoire de toxicologie. En 1990, je suis devenu responsable de l’unité fonctionnelle de toxicologie. J’y faisais à la fois de la toxicologie hospitalière (intoxications, étude de l’effet iatrogénique des médicaments, ajustement de posologies) et de la toxicologie judiciaire. J’y suis resté jusqu’en 2004, date à laquelle, avec deux de mes assistants et des financeurs, j’ai fondé le laboratoire Chemtox.

Je suis actuellement président de la SoHT ( Society of Hair Testing), j’ai aussi été président de la S.F.T.A. (Société Française de Toxicologie Analytique) du
I.A.F.T. (International Association of Forensic Toxicologists) de 2005 a 2008.

Quels souvenirs vous reste-t- il de la faculté ?

– Au niveau des cours ?

J’ai beaucoup de regrets par rapport aux enseignements. Aujourd’hui, j’aimerais en connaître bien plus dans des domaines comme la bactériologie ou la botanique, enseignements qui ne me passionnaient pas trop à la fac et qui sont donc très vite
sortis de ma mémoire.

– Au niveau extrascolaire ?

Je garde un très bon souvenir de la fac. A l’époque j’avais une société de son et lumière et j’animais alors les banquets et les soirées pharma.

Avec votre grande expérience professionnelle
dans le domaine scientifique, comment voyez vous
le programme des études pharmaceutiques ?

Je trouve que ce sont des études variées mais qu’elles ne collent pas toujours à la réalité du marché del’emploi. Selon moi, on devrait davantage développer le management et l’esprit critique. En effet, les étudiants en pharmacie seront amenés à devenir des cadres ou des managers dans le monde professionnel, or je trouve qu’on ne les forme pas assez à prendre des décisions importantes et à gérer des équipes.

Restons dans le domaine des études. Quand estce
qu’un expert toxicologue comme vous a-t-il
découvert la toxicologie ?

Comme tous les étudiants en pharmacie, j’ai découvert la toxicologie en 4e année. C’était M. Lugnier qui l’enseignait à l’époque.

Que pourriez-vous conseiller à des étudiants
intéressés par la toxicologie ?

Ce qu’il faut savoir, c’est que les postes de toxicologue judiciaire sont très rares (1 poste se libère tous les 3 ans en France). Il est donc fortement conseillé de s’associer le plus tôt possible avec un laboratoire d’analyse toxicologique, en y faisant des stages le week-end ou pendant les vacances. Ceci afin d’augmenter les chances d’avoir un poste.
Je leur conseille d’entrer dans le monde professionnel le plus tôt possible, pour acquérir l’expérience nécessaire. La toxicologie judiciaire est un domaine très particulier. C’est un mélange de toxicologie, de règles strictes, de droit, et surtout de rigueur. Je forme mes élèves moi-même. Dans mon domaine les thèses et les masters ne sont pas d’une grande utilité. Je préfère un élève très motivé et passionné à un élève bardé de diplômes.

Que pensez-vous de la réforme L1 santé ?

Je suis pour tout rapprochement entre le monde médical et pharmaceutique car dans le monde professionnel ce sont bien souvent les médecins qui possèdent les postes-clés. C’est le cas dans les hôpitaux, dans les labos de recherche mais aussi de plus en plus souvent dans les industries pharmaceutiques ! Je pense qu’il faut passer par de telles réformes pour faire retrouver au pharmacien sa légitimité et sa place aux côtés des médecins. J’ai entres autres quitté le laboratoire de toxicologie de la faculté de médecine pour cette raison. Pendant quelques années j’étais assistant et maître de conférence mais lorsque j’eus envie de me lancer dans une carrière d’enseignant, on m’a bien fait comprendre que les postes de professeurs étaient réservés aux médecins.

Vous aviez donc envisagé de devenir professeur ?

Oui et d’ailleurs mon plus grand regret est de n’avoir jamais pu rejoindre la faculté de pharmacie pour y enseigner.

Pour finir, pourriez-vous nous faire part d’une
recherche inédite ?

Il y en a eu beaucoup depuis la fondation du laboratoire, mais en ce moment, c’est très certainement l’affaire Gasquet qui est la plus intéressante.
Nous avons réussi à prouver en analysant ses cheveux que l’infime quantité de cocaïne contenue dans ses urines pouvait provenir d’un baiser avec une fille venant de se faire un rail de coke. A présent Richard Gasquet peut à nouveau jouer au tennis.

Merci M. Kintz de nous avoir accordé un peu de
votre précieux temps pour réaliser cette interview.

Retrouvez toutes les informations sur le laboratoire
Chemtox, ainsi que des revues de presse
concernant Chemtox sur le site :

www.labochemtox.com

Interview réalisée le mardi 03 novembre 2009.

Charles, Laurent et Ludo

Quelques affaires médiatiques dans lesquelles le laboratoire Chemtox est intervenu. (cette section ne fait pas partie de l’interview)

En 2008, l’avocate russe de la famille d’Anna Politkovskaïa, Karinna Moskalenk, retrouve dans sa voiture des billes de mercure. Pouvant s’agir d’une tentative d’empoisonnement, la justice est saisie de l’affaire. Le dosage du mercure est effectué par le laboratoire Chemtox. Après analyses, ce dernier indiqua que les doses retrouvées étaient très peu toxiques.

En 2007, Abdullah Öcalan, le chef séparatiste kurde détenu en Turquie, souffre d’un empoisonnement vraisemblablement dû à l’ingestion de métaux toxiques. Les avocats de cet homme politique envoient alors des mèches de cheveux au laboratoire Chemtox pour les faire analyser. Pascal Kintz y trouva des concentrations de chrome sept fois supérieures à la moyenne ainsi que des doses de strontium extrêmement élevées.

En 2004, Victor Iouchtchenko, candidat à la présidence de l’Ukraine, tombe gravement malade en pleine campagne électorale alors qu’il était le grand favori. Étant pro-occidental, on soupçonna les services secrets russes de l’avoir empoisonné. Diverses analyses sanguines montrèrent un taux très élevé de dioxine dans son sang. Le laboratoire Chemtox fut sollicité pour analyser des mèches de cheveux de cet homme. Par spectrographie de masse, il a alors été possible de déterminer une cartographie chimique chronologique de la variation de concentration de dioxine dans les cheveux.. Le résultat fut sans appel : on nota une absence de dioxine dans les segments antérieur à la maladie et des taux très élevés de dioxine au moment de la maladie. Victor Iouchtchenko a donc été empoisonné à la dioxine !

En 1821, Napoléon meurt en exil sur l’île britannique de Sainte-Hélène.
Quelques années plus tard son corps fut rapatrié en France et enterré aux
Invalides. Mais les mystères autour des causes de sa mort perdurent et
différentes théories s’affrontent.
Certains experts avancent la théorie selon laquelle l’empereur serait
mort d’un cancer de l’estomac. En effet, il souffrait d’inflammations
chroniques de l’estomac et avait perdu plus de 11 kilos durant les
derniers mois de sa vie. Ces symptômes pourraient correspondre à un telle
maladie.
D’autres experts, dont Pascal Kintz, penchent plutôt pour la théorie de
l’empoisonnement chronique à l’arsenic. Dans le but de vérifier cette
hypothèse, l’Institut légal de Strasbourg , dont le Dr. Kintz faisait partie, a reçu en 2001 des cheveux de l’empereur. Les analyses indiquèrent de fortes concentrations en arsenic, prouvant qu’il absorbait régulièrement des doses très fortes de ce poison. Aucune de ces 2 théories n’est unanimement reconnue comme étant la véritable cause de la mort. Le débat continue donc encore de s’animer 200 ans après la mort de l’empereur.

En juin 2009, le cycliste belge Tom Boonen est contrôlé positif à la cocaïne et ceci pour la 3e fois de sa carrière. Le sportif nie avoir consommé de cette drogue. Le laboratoire Chemtox est alors sollicité pour doser la cocaïne logée dans les cheveux du cycliste. Pour une personne positive à la cocaïne, les résultats des tests capillaires présentent un taux supérieur à 0,50 nanogramme par milligramme de cheveu. Pour Tom Boonen, la concentration trouvée fut de 0,09 nanogramme. Au vu de ces résultats Pascal Kintz indiqua qu’il ne pouvaient pas se prononcer sur la manière dont la drogue avait été consommée par le coureur et qu’il est possible que Boonen n’ait pas sniffé de la cocaïne lui-même. Affaire à suivreY

En mai 2009, le tennisman Richard Gasquet est contrôlé positif à la cocaïne
lors du tournoi de tennis de Miami. Il est alors suspendu provisoirement
mais clame son innocence. Les très faibles doses retrouvées dans ses urines
laissent présager une ingestion involontaire de cocaïne. Les résultats des analyses de cheveux faites par Chemtox appuyèrent la théorie avancée par le sportif : il aurait ingéré de la cocaïne lors d’un baiser en boîte de nuit avec une fille venant tout juste de consommer cette drogue. Au vu des résultats toxicologiques, cette théorie fut acceptée par le tribunal, blanchissant ainsi le tennisman.

Comprimé 33 Hivers 2009

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