Interview de M. Goeldner

ProfesseurM. Goeldner bonjour, pouvez-vous nous parler un
peu de vous ?

Je suis Strasbourgeois (je parle le dialecte) et j’ai fait mes études universitaires à Strasbourg.
Concernant mes études, je n’ai pas fait la filière pharmacie mais mes travaux de recherche (chimie bioorganique) portent sur le domaine pharmaceutique. J’ai étudié à la faculté des Sciences, une carrière plutôt atypique pour un professeur de faculté de Pharmacie.

Lorsque j’ai passé le concours pour devenir professeur, j’étais le premier non pharmacien (hors prof d’anglais etc) à enseigner dans une faculté de Pharmacie, cela témoigne de l’ouverture d’esprit des responsables alors en place à la Faculté.

Quel est votre cursus universitaire et qu’est ce qui vous a poussé à faire de la recherche ?

J’ai fait des études de chimie à Strasbourg et lors d’un stage dans un laboratoire j’ai tout de suite été fasciné par la recherche. Je me suis alors lancé dans une thèse universitaire chez le docteur Jean François Biellmann qui était un ancien étudiant de Guy Ourisson.

Qui était-il ?

Guy Ourisson était un personnage un peu hors normes, c’était le président-fondateur de l’université Louis Pasteur. C’était l’une des rares personnes que j’ai connus sachant faire de la politique et de la science en même temps.
J’ai ensuite fait ma thèse dans son orbite. Pour entrer dans son laboratoire, il fallait avoir fait de bonnes études.

Vos études étaient elles exclusivement consacrées à la chimie ?

C’était une licence de chimie à 100%. C’est pendant mon stage que j’ai eu mes premiers contacts avec la biochimie-enzymologie.

J’ai fait une carrière de chercheur par la suite et j’ai intégré le CNRS. C’était encore la belle époque où l’accès à cette institution pouvait se faire pendant la thèse. Aujourd’hui, c’est devenu le parcours du combattant.
J’ai fait mon premier stage post-doctoral au Canada (à Kingston) qui comptait pour mon service militaire.
Ensuite je suis revenu à Strasbourg pour finalement intégrer l’Ecole Polytechnique de Zurich pour une année. A mon retour, j’ai rejoint le centre de neurochimie à l’Esplanade qui venait d’être construit. A ce moment-là, nous avons démarré notre laboratoire de manière indépendante, avec mon collègue et ami Christian Hirth.

J’y ai fait la connaissance de Camille Wermuth qui avait 2 laboratoires à l’époque, l’un au centre de neurochimie et à l’autre à la Faculté de pharmacie.
Un beau jour, il m’a proposé de postuler à la faculté pour un poste de professeur de chimie organique.
Cette proposition m’avait beaucoup intéressé si ce n’était la délocalisation de la faculté qui m’avait fait hésiter (à cette époque la faculté était isolée au milieu des champs à Illkirch).
Par la suite, j’ai fait le concours de l’agrégation et mon sujet portait sur les monoterpènes bicycliques.
Ce qui est remarquable, c’est qu’il existait très peu de renseignements sur ce domaine dans les ouvrages et je devais tenir un cours de 40 min. Cela m’a permis de montrer que je connaissais bien la chimie.
J’ai fait ma rentrée en 1983. Lorsque j’étais jeune professeur, j’ai également effectué une année sabbatique à l’Université de Berkeley en Californie.
Et maintenant, je vais bientôt prendre ma retraite.

De quoi êtes-vous le plus fier ?

Ce sont très certainement ces 35 thèses que j’ai fait passer durant ma carrière d’enseignant. (il nous montre les nombreux volumes rouges qui trônent sur une étagère de son bureau)

Enseignez-vous uniquement en pharma ?

Non, je me suis occupé du DEA de chimie organique pendant plusieurs années. J’ai créé à la faculté des Sciences le Magistère chimie-biologie, et j’étais responsable du Master du même nom jusqu’à l’année dernière.

Pourquoi avez choisi la chimie ?

J’étais plutôt attiré par les maths-physiques et pendant mon DEUG j’ai découvert la chimie. J’ai eu mes premiers cours avec Guy Ourisson et là, ça a été l’enthousiasme : il était fascinant pour des générations de personnes. Ce sont les seuls cours que j’ai conservés et j’essaie de garder cette passion en dépit des conditions de cours en première année.

D’ailleurs que pensez-vous de la première année ?

Parfois quand je corrige mes 500 copies, en dépit du travail inintéressant que cela représente, je trouve des solutions proposées par quelques étudiants que moi-même je n’imaginais pas, et même si c’est tout faux je mets 20/20. C’est rare, mais ça fait plaisir !

La réforme L1 santé arrive l’an prochain, qu’en pensez-vous ?

Cette réforme m’agace parce que c’est la mort de la chimie organique. On pourra rattraper un peu par la suite, mais les étudiants de Strasbourg avaient l’avantage d’avoir les bons enseignants mis en première ligne. Ce n’est pas le cas en médecine où ce ne sont pas les grands médecins qui vont s’embêter à enseigner en premier cycle et c’est une erreur. Faire un bon investissement dès les premières années c’est très important, c’est là que vous stimulez les étudiants. La réforme correspond à la fin de ma carrière, je ne vais plus prendre d’initiatives, je laisse aux jeunes le loisir d’établir leurs règles.

On ne sait pas vraiment comment se passent vos recherches …

C’est un travail permanent qui me pousse à suivre constamment ce qui se passe en recherche de par le monde. Il faut être actif et réactif pour connaître les nouveautés et pour proposer des thèmes de recherche originaux. Il faut diriger le laboratoire, trouver les financements pour les jeunes chercheurs
et pour acheter les équipements, etc. C’est devenu extrêmement compétitif. La Recherche est un monde particulier et formidable, surtout quand on est enseignant-chercheur . Nous ne sommes pas exclusivement dans notre petit labo. En effet, nous avons des contacts dans les amphis, contrairement au CNRS qui est plutôt un monde fermé. J’ai toujours apprécié de faire ces 2 métiers étroitement liés. Je me sens parfaitement à l’aise lors de mes cours.

Aujourd’hui je suis dans une phase un peu particulière : c’est le moment de passer le flambeau. Il y a de jeunes équipes qui prendront bientôt la relève du laboratoire. Notamment deux jeunes chercheurs Thomas Grutter et Alexandre Specht qui ont soutenu leurs thèses il y a 5-10 ans. Alexandre fait les TD cette année car il souhaite éventuellement se lancer dans une carrière d’enseignant-chercheur.

Quels sont vos thèmes de recherches ?

J’ai deux axes principaux.

L’un est l’étude de l’interaction ligand-récepteur. On conçoit de nouvelles molécules puis nous les testons biochimiquement voir biologiquement. C’est donc un domaine qui est à l’interface de la chimie et de la biologie.
Ce n’est pas un travail de tout repos. Il est important d’instaurer une bonne communication entre biologistes et chimistes afin d’aborder les problématiques sous un angle différent.

L’autre axe est la conception de molécules d’intérêt biologique. Après leur synthèse, nous modifions ces molécules chimiquement par un groupe photoactivable qui rend la molécule fonctionnellement inerte. On peut ensuite activer cette molécule avec un laser à un endroit précis du corps. On peut par exemple libérer du calcium ou un neurotransmetteur au niveau d’une synapse.(Il nous montre un livre )qu’il a publié : Dynamic studies in biology: phototriggers, photoswitches and caged biomolecules)

Pour les étudiants vous êtes « Momo », ce surnom est-il ancien ?

Ce qui est sûr c’est que je ne l’avais pas en tant qu’étudiant. Il est peut-être apparu dans les amphithéâtres pendant mes cours. Vous savez, une fois que la rumeur est lancée plus rien ne l’arrête !

A voir vos hautes études scientifiques, on peut se demander si vos enfants suivent vos traces ?

On peut dire ça : j’ai trois enfants dont une fille qui a fait une thèse en neuropharmacologie.

Vous ne faites cours qu’en première année. Comment ressentez-vous ces cours ?

Ce sont des cours très particuliers. Par moments je perds patience, c’est sûr. Mais il faut trouver le mot juste pour contrer les idioties de certains et ainsi calmer l’amphithéâtre pour pouvoir continuer le cours.

Un conseil pour les P1 ?

Lorsque l’on regarde les données statistiques du concours, toutes les matières ont une courbe de Gauss, sauf la chimie organique où il y a deux bosses (l’une en dessous entre 0 et 10 et l’autre entre 10 et 20). Tous ceux qui ont le concours sont dans la deuxième bosse. La chimie organique est donc une condition nécessaire mais non suffisante pour avoir le concours. Il faut comprendre la chimie organique ! De plus, avec les sujets que je donne ce n’est pas du par coeur mais de la réflexion. Je refuse de faire des QCM, ce qui a un prix. Je ne sais jamais à l’avance les questions que je poserai au prochain concours.

Un mot pour les masters ?

Depuis que nous avons créé les masters, il y a de plus en plus d’étudiants pharmaciens qui suivent le master chimie-biologie. Cela me réjouit car ça change des masters enseignés classiquement en Pharmacie. Il y a donc une sortie intéressante pour ceux qui aiment la chimie. Il me semble que les pharmaciens ont leur place dans le domaine de la recherche chimique. La seule inquiétude que j’ai à ce sujet c’est que les débouchés industriels sont assez limités.

Le mot de la fin ?

Ca fait maintenant presque trente ans que je travaille ici et il n’y a pas un seul jour où je me suis dit « ah zut, il faut que j’aille bosser ». Je n’ai rien à regretter dans le choix du métier que j’ai fait. Si c’était à refaire je le referais sans hésiter !

Un grand merci au Professeur Goeldner qui nous a permis de réaliser cette interview.

Ben et Charles

Leave a Reply

shares