Actualités, Fiction, Le Comprimé

Guerre et Pots

Illustration de Cécile Thong

Episode IX

Celsius faisait les cents pas dans le laboratoire de Cynara.

Il avait retourné tous les pots de confiture anti-diarrhée, pour éviter la formation de condensation sur les bouchons. Il avait fini de mouler tous les suppositoires à l’eucalyptus. Toutes les pilules avaient été façonnées et recouvertes de feuilles d’or, les plantes séchées dûment triées, pesées et ensachées, les biscuits thérapeutiques arrivés à péremption jetés (ou mangés, parce qu’il y avait un peu de cacao dedans…).

Mais Cynara n’était toujours pas rentrée.

Alors il avait mis à réchauffer la soupe d’ortie, récuré les alambics, balayé le laboratoire, pulvérisé une araignée qui le narguait depuis quelques minutes et reprisé un torchon.

Mais Cynara n’était toujours pas rentrée.

Celsius savait qu’elle était sortie retrouver le grand benêt blond dans la forêt. Elle en pinçait pour lui, c’était évident : il ne se passait plus un jour sans que la potarde fasse allusion au malheureux Skron, qui n’avait pas eu comme elle la chance de choisir son destin… Le petit dragon avait redoublé d’efforts pour se rendre indispensable au bon fonctionnement de la boutique, il avait même essayé de se montrer moins colérique et plus patient.

Mais elle n’avait rien remarqué. Les états d’âme du bourreau émotif lui importaient certainement plus.

C’est pourquoi cette nuit-là, Celsius sortit de la cabane de Cynara.

Et la soupe brûla.

***

Finalement, la chance, « ça s’en va et ça revient »…

C’était devenu le nouveau mantra d’Anagallis tandis qu’il traînait Cynara par les cheveux jusqu’à ce qui avait été sa geôle à peine quelques heures plus tôt.

Il était bien placé pour savoir que personne, jamais, ne revenait de ce qu’il avait baptisé « le tunnel des oubliés », quand bien même Odin aurait décidé de la fin du monde…

Une fois sa victime calée en position assise dans un coin de la cellule, il s’assura d’entraver le moindre de ses gestes avec quelques bons mètres de chaînes.

Anagallis était parfaitement conscient que ce n’était pas tout à fait ce que lui avait demandé Eggward. Pas assez radical, non non non. Mais l’ancien trafiquant de champignons récréatifs brûlait de poser tout un tas de questions à la potarde momentanément comateuse.

Peut-on lyophiliser la vie ? Sublimer un ennemi [1] ? Est-il vrai qu’on ne peut pas transformer le plomb en or, mais que l’inverse serait possible ?

Si la demoiselle endormie était aussi redoutable que ce que prétendait l’épicier, elle détenait forcément la réponse à ses questions ! Et elle n’était pas en position de lui refuser quoi que ce soit…

Pourtant, en voyant la bave s’écouler de sa bouche, Anagallis se demanda s’il n’avait pas frappé un tout petit peu trop fort, quand même…

***

Le matin suivant…

« C’ééééééétait un fameux drak-kar, fin comm-euh l’oiiiiseau, HISSEZ HAUT !… » beuglaient à l’unisson une bande de têtes blondes sur le chemin de l’école, en bordure du chantier naval du village.

Les enfants apprenaient à devenir de bons petits vikings, et les vikings s’échinaient à comprendre les visions artistiques de leur épicier.

En effet, ce matin-là, Eggward Licorne avait réquisitionné les plus vieux menuisiers du village pour concevoir la proue de son navire…

« Une proue, mes amis, n’est pas qu’une pièce permettant de fendre les flots. C’est un symbole. C’est l’image de notre village qui plane sur l’écume des mers lointaines ! »

Voyant que son discours rendait les artisans aussi émus qu’une hache, il conclut :

« En gros : je veux une sculpture qui ferait peur à un requin. »

Et il tourna les talons dans un concert de chuchotis ébaubis, content de lui.

Mais ce qui illumina davantage sa matinée, ce fut d’apercevoir Skron, devant la masure de la potarde, surpris de voir la boutique encore fermée, et toquant timidement à la porte dans l’espoir d’obtenir une réponse, ou à défaut, un signe de vie quelconque (Il est vrai que l’odeur d’oignons brûlés s’échappant de la cheminée aurait eu de quoi rendre un mort nerveux…).

Toque à la porte tant que tu veux, grand dadais. Mais si mon associé a bien fait son travail, tu ne devrais pas revoir ton amie avant…une autre vie.


[1] Sublimer, un mot merveilleux pour le chimiste qui sommeille en vous (plus ou moins profondément…)

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