Actualités, Fiction

Guerre et Pots

Illustration de Marie-Sophie Wilhelm

Episode III

« Il faut que nous allions voir cet enfant.

-Il faut d’abord s’assurer qu’aucun villageois ne m’ait suivi jusqu’ici…

-Je croyais que vous étiez venu ici « discrètement » ?

Le tas informe de couvertures et de meubles qui servait à barricader la porte prit alors vie et laissa s’échapper un éclair violet qui vint se blottir aux pieds de Cynara aussi rapidement qu’un singe à son bananier. Skron fit un bond en arrière.

« Celsius ! C’est pas le moment de jouer à cache-cache !

(Oui, Celsius est un dragon violet. Ni rouge, ni bleu, ni autre chose. Pas la peine de m’envoyer des lettres de réclamation pour qu’il change de couleur. Je suis l’auteure. J’écris c’que j’veux.)

-Grimpf ! Griiimpf ! Griiiiiiimpf !!!

-Je ne suis pas sourde, Celsius, va plutôt regarder dans le périscope ce qui se passe dehors pendant que je rassemble quelques affaires… »

Tout en jetant un regard de travers à Skron, Celsius serpenta vers la cheminée et tira vers lui un binocle rattaché à un tuyau remontant le long du conduit. Dressé sur ses deux pattes arrières, les yeux collés à l’engin, Celsius comptait consciencieusement quelque chose sur ses griffes.

« MMrriiiiiin…Greuuuuuuuuuhh…Froooooooiiiir… »

Cynara fourrait fébrilement éprouvettes, mortiers, fioles multicolores, racines et filtres en tous genres dans un sac en toile apparemment sans fond (elle serait prête à 200% pour sa toute première intervention).

« Alors Celsius ? » lança-t-elle.

Pour toute réponse, le dragon tendit six de ses griffes en direction de sa maîtresse, tout en faisant des nœuds avec sa queue épineuse.

« Qu’est-ce qu’il dit, là ? s’enquit Skron.

-Il dit qu’il y a six villageois qui trépignent devant ma porte avec des outils menaçants. Des amis à vous, je suppose ?

-Je viens de vous expliquer que certaines personnes n’approuvaient pas vraiment ma démarche…

-Je me disais aussi que je ne me souvenais pas les avoir invités à dîner. Prenez mon sac, et si j’entends le moindre bruit de fiole en souffrance, vous irez souffler du verre jusqu’à ce que vous ayez craché votre dernière alvéole pulmonaire ! On va emprunter mon issue de secours. »

Et ce faisant, Cynara déplaça un tapis et ouvrit une trappe.

« Celsius, pars devant en éclaireur. »

Le dragon lécha consciencieusement une de ses griffes puis éternua dessus, ce qui eut pour effet de l’enflammer comme une petite torche (La bave de dragon est composée à 79,4% de kérosène. N’essayez pas de reproduire cela chez vous sans l’expertise d’un éleveur de dragons). Ainsi paré, il s’engouffra dans le trou béant.

« C’est un raccourci qui mène jusqu’à la forêt. Vous n’oublierez pas de fermer la trappe derrière vous, s’il-vous-plaît. Il n’y a plus de temps à perdre !»

Et Skron, n’ayant ni les mots ni le loisir d’exprimer sa stupeur face à ce qu’il venait de voir, referma simplement la trappe derrière lui en tenant le plus délicatement du monde le sac d’ustensiles de la potarde.

***

Globalement, la traversée du tunnel se passa sans encombre, sauf pour les quelques araignées pyrolysées en chemin par Celsius (il n’avait jamais réussi à les apprécier, allez savoir pourquoi…).

Arrivés comme prévu à l’orée de la forêt, Skron et Cynara avisèrent une faible lumière qui crevait l’opacité de la nuit sans étoile. C’était la maison de Billy.

« Je vous conseille de laisser Céleri dehors : les habitants de ce village n’ont encore jamais vu de dragon et risqueraient de prendre peur en le voyant.

-D’accord, Celsius attendra devant la porte, répondit la potarde avec toute l’acidité dont elle était capable.

-Oh…Celsius…désolé…

-CCrrooonnnnrd ! (Insulte dragonne -heureusement- intraduisible dans notre langue. Un équivalent châtié serait ‘’cornichon’’) »

Ils s’approchèrent de la chaumière et Skron frappa à la porte qui s’ouvrit alors si vite que Cynara eut tout juste le temps de pousser Celsius dans une masse feuillue accolée à la maison.

« Skron ! s’écria Ginger, la femme de Billy. Enfin ! Entre vite avec ta magicienne ! »

La « magicienne » n’eut pas le temps de rectifier ce tout nouveau titre qu’elle se retrouva propulsée dans une grande pièce où se dressait un petit lit en bois. Sur ce petit lit était amassée une collection d’édredons. Et sous ces édredons toussait un petit garçon d’environ six ans.

« C’est mon fils Thymus, Mademoiselle… Depuis qu’il est rentré cet après-midi de son TP de construction de drakkar, il tousse… »

Cynara s’agenouilla à côté du lit et posa une main sur le front de l’enfant.

Thymus n’avait pas (encore) de fièvre. Elle écouta alors attentivement la toux et la respiration du garçon.

Pas de fièvre…une toux productive mais pas d’essoufflement ni de gêne à la respiration entre les quintes…voyons…il a six ans, et les symptômes sont d’apparition récente…

Cynara avait gardé le silence pendant tout le temps de sa réflexion, ce qui avait augmenté l’inquiétude de Ginger.

« C’est encore plus grave que ce que je craignais, c’est ça ?

-Non Madame, je réfléchissais aux différentes potions qui fonctionneraient sur Thymus. Skron, venez dehors avec moi, on va chercher quelques ingrédients ! »

Une fois la porte refermée derrière eux, Cynara exposa son idée.

« Je connais une potion élaborée à partir de bave d’escargot qui ferait des merveilles pour aider Thymus à expectorer ses glaires ! Il me faudrait…oh, juste une vingtaine d’escargots pour un traitement d’une semaine…

-Mademoiselle Des Astres, il n’a pas plu depuis au moins trois semaines ! je doute que nous trouvions encore des escargots assez baveux pour l’usage que vous voulez en faire…

-Zut, j’avais pas pensé à ça ! Attendez…c’est quoi ce bruit ? »

FFrrrrtt….FFFFFFFrrttttttt….

Skron dégaina son épée.

« Restez derrière moi, Madem…

-STOP, c’est Celsius !!! »

Empêtré dans un réseau de feuilles solidement accrochées au mur de la chaumière, Celsius se débattait rageusement de toutes ses griffes. Une lueur d’espoir s’alluma dans ses yeux lorsqu’il vit sa maîtresse s’approcher, jusqu’à ce que celle-ci, arrivée à sa hauteur, s’arrête net…

Des feuilles de lierre grimpant (Hedera helix, pour les intimes) …exposées depuis trois semaines à un soleil implacable, sans une goutte de pluie…

« Mon petit Celsius, tu es un génie ! »

***

« Alors, je mets 0,3 grammes de ces feuilles dans une moitié de bol d’eau bouillante et je laisse infuser dix minutes avant de le faire boire à mon fils, c’est bien ce que vous m’avez dit ?

-Exactement ! Et vous faites ça trois fois par jour pendant une semaine maximum, ça l’aidera à évacuer les viscosités qui l’encombrent.

-J’espère que ça commencera à agir dès demain… si le village sait Thymus malade le jour du supplice de son père, nous serons maudits et perdrons tout ce que nous avons… où irions-nous ? »

Ne pouvant aider davantage la mère de Thymus, Cynara sortit de la petite maison, Skron sur ses talons. Devant l’arbre où se trouvait la sortie du tunnel qu’ils avaient emprunté pour venir jusqu’ici, Celsius terminait de démêler le lierre encore enroulé sur les épines de sa queue.

« Je pense que les villageois belliqueux sont rentrés chez eux, à présent. Je vais faire de même. Un grand merci pour tout ce que vous avez fait, Mademoiselle des Astres !

-Je suis triste qu’on ne puisse rien faire de plus pour son mari !

-Tout le savoir du monde ne peut rien contre les juges, Cynara. Rentrez chez vous, le soleil va bientôt se lever, et il serait préférable qu’on ne vous voie pas aux alentours de la maison de Billy à quelques heures de son exécution… je repasserai vous voir pour vous donner des nouvelles de Thymus. A demain ! »

Et Skron se dirigea sans tarder vers le village à longues enjambées.

Celsius bâillait à s’en décrocher la mâchoire lorsque Cynara se retourna vers lui, les yeux pétillants :

« A partir d’aujourd’hui, de grands changements nous attendent, Celsius !

-Grounkk ? »

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